Art dans l’espace public: quand les politiques croisent les pratiques
Par Edith Brunette.
Texte intégral disponible ici.
Introduction
Il existe une certaine présomption d’autonomie politique des arts – à tout le moins, une certaine exigence d’autonomie. Rares sont les artistes qui affirmeraient sans gêne une quelconque influence des politiques sur leur pratique. Inversement, peu de politiciens feraient la gaffe d’afficher leur volonté d’interférer sur celle-ci. Entre les deux, les institutions subventionnaires entretiennent l’image d’une saine distance entre les gouvernements et le milieu des arts par l’emploi de mots rassurants du type « arm’s length » et « jurys de pairs ». Pourtant, une telle autonomie apparaît de plus en plus douteuse, à mesure que ces mêmes gouvernements s’emparent, avec un enthousiasme suspect, de la Culture, nouvelle clef de voûte de l’économie tertiaire et mondialisée. Les priorités des conseils des arts recoupent inopinément celles des gouvernements, cependant qu’on nous assure qu’elles sont le fruit de consultations du milieu artistique.
Les pratiques artistiques intervenant dans l’espace public, de par leur visibilité, leur accessibilité et leur potentiel d’interactions et d’embellissement du territoire, croisent plusieurs des priorités gouvernementales actuelles. Leurs objectifs, cependant, divergent : animer l’espace public, régénérer le tissu urbain, faire affluer les touristes et créer de la richesse figurent rarement au nombre des priorités des artistes. Ceux-ci continuent néanmoins de se fier aux rouages actuels du système de financement public, croyant sinon à la neutralité politique de celui-ci, du moins en leur propre capacité de résistance à toute ingérence dans leur liberté créatrice.
Dans ce tissu de présomptions, il m’importait de démêler les parts de vérité et de vœux pieux. Une résidence de recherche au centre d’artistes DARE-DARE, au printemps 2014, m’a permis d’amorcer un premier débroussaillage, en articulant ma recherche autour de deux pôles. Le premier concernait les politiques culturelles elles-mêmes : qui les détermine, quels rôles dessinent-elles pour les arts et comment ces rôles s’arriment-ils à des tendances économiques et politiques excédant le seul champ culturel? Le second touchait plutôt aux pratiques artistiques, et plus particulièrement à celles intervenant dans l’espace public : comment les artistes – et les organismes qui les soutiennent – interagissent-ils avec des politiques culturelles de plus en plus soumises à des fonctions sociales et économiques « utiles »? Plans stratégiques, rapports annuels et entrevues ont servi de base à ces recherches, fort partielles mais dont j’espère néanmoins qu’il sera possible de tirer quelques amorces de réponses.
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